Portrait : Ultime coup de pédale pour Valbuena

Depuis qu’il a commencé à taper dans un ballon, Mathieu Valbuena n’a jamais laissé personne indifférent, c’est certain. Son physique atypique et ses 167 centimètres y sont sans doute pour quelque chose. Sa démarche si spéciale et son style excentrique aussi. Parfois moqué jusqu’à en devenir détesté, « petit vélo » n’aura reçu ni cadeau ni complaisance pour percer dans un sport qui ne voulait pas du lui. Recalé du centre de formation des Girondins de Bordeaux il y a plus de dix ans, le maître à jouer des bleus aura connu les pires misères avant de connaître la réussite qu’il attendait tant.

Partez à la rencontre de ce « self-made-man » au parcours haut en couleurs qui s’apprête enfin à prendre son envol, huit saisons après son arrivée à l’OM. Entre caleçons colorés et gros Hummer, entre simulations et désillusions, entre frappes enroulées et Coupe du Monde : portrait.

 

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Son but à Anfield : le tournant d’une carrière

 

On aurait presque aimé lui offrir une autre fin. Un ultime challenge à la hauteur de son parcours (si tant est que ce soit le dernier), un peu plus clinquant que celui proposé par le dernier 4ème du championnat russe et ses hivers glaciaux. Comme souvent depuis ses débuts, Valbuena nous a offert un « rétropédalage » dont lui seul a le secret. Pas surprenant venant de petit vélo, me diriez-vous. Mais au final, à l’heure de s’engager avec le Dynamo Moscou, il dit probablement adieu à ses rêves de gros clubs et, par la même occasion, à sa volonté de (se) prouver qu’il était taillé pour une grosse écurie.

Pourtant, rien ne prédestinait celui qui n’était pas encore petit vélo à se voir confronter à ce genre de dilemme plus tard. Alors âgé de 18 ans, au club depuis près de 10 ans avec les équipes de jeunes des girondins, Mathieu Valbuena apprend qu’il n’a plus sa place en terre girondine, et qu’il ne signera jamais pro au club. Il se remémore : « Je m’en souviens comme si c’était hier. On allait dans un petit bureau pour savoir si on était conservé ou pas. L’entraineur, Philippe Lucas, m’aimait bien et croyait en moi. Mais quand il a commencé à parler j’ai compris. Les autres entraîneurs ne voulaient plus de moi et il n’avait pas eu la décision finale. D’ailleurs, les dirigeants bordelais pensaient que je ne deviendrai jamais pro ». A partir de là, la force mentale du minot va (déjà) être remarquable : « j’ai directement enchaîné les essais après mon départ de Bordeaux. Romorantin, Tours, Guingamp, on a fait le tour avec mon père. On partait en voiture de Bordeaux pour la journée à chaque fois. Mais c’était compliqué. Et je n’ai jamais reçu de réponses claires ». Du coup, un peu à défaut de mieux il est vrai, le jeune Mathieu part taper le ballon à Langon-Castets, en CFA2. Pour palier alors son faible salaire (environ 150€/mois), fort d’un bac pro et d’un BEP vente-action-commerciale, il se fait embaucher dans un magasin Intersport d’une de ses connaissances. « Un moment difficile, les horaires étaient interminables et je filais à l’entraînement après le boulot ».

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« L’architecte de Libourne », selon Didier Tholot

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Rapidement, les bonnes prestations s’enchaînent et les premières offres commencent à arriver. S’il décline dans un premier temps la proposition d’un club portugais de troisième division (Arcas), il choisit finalement de prendre la direction de Libourne, choix principal de son père. Il raconte : « J’ai signé et le déclic a eu lieu lors de la deuxième saison. Didier Tholot, l’entraîneur, est venu me dire ‘je vais construire l’équipe autour de toi, tu seras numéro 10’. J’avais 21 ans et les choses ont commencé à se mettre en place ». Il joue à 57 reprises et plante 10 buts en deux ans. Tholot est le premier à être tombé sous le charme : « j’allais voir les matchs de Libourne, où il ne jouait jamais. Jusqu’au jour où je l’ai vu entrer en jeu. Je n’ai pas compris pourquoi il avait été laissé de côté. Quand j’ai repris l’équipe, je l’ai construite autour de lui ». Son avenir s’écrit dès lors loin du national, division qu’il quittera auréolé de la récompense de meilleur joueur. Si Saint-Étienne, Rennes et Auxerre se sont montrés intéressés, le jeune Valbuena prend finalement le chemin de Marseille, après mûres réflexions. L’histoire est en marche.

Il arrive sur la cannebière particulièrement craintif. « Quand je ne connais pas, je stresse toujours. Je me disais que les joueurs allaient me regarder, se demander qui j’étais, genre ‘non mais attends, on va faire la Ligue des Champions avec ce type-là? ». Finalement, ses peurs se sont avérées fondées. Son intégration sera des plus difficiles à l’OM. Il devient la ‘tête de turc’ du groupe et est sujet à toutes les moqueries et les pires coups possibles. Seul Ronald Zubar, arrivé en même temps que lui, prend sa défense : « Ça m’arrivait de faire le ‘justicier’ de temps en temps. Quand Mathieu est arrivé à Marseille, c’est vrai qu’il a subi quand même. Mon rôle, c’était un peu de le protéger. J’étais déjà dans le milieu professionnel, alors que lui venait de National et était un peu perdu là-dedans. Franchement, ça n’a pas du tout été facile pour lui ». Il subit les entraînements et les tacles virulents de ses coéquipiers de plein fouet. Voiture remplie de journaux, chaussettes coupées, caleçons déchirés, il ne comprend pas un tel acharnement. Il relate cette période compliquée : « dès qu’il y’avait quelque chose, c’était toujours pour ma gueule. J’en parlais avec Niang, le capitaine, je lui demandais pourquoi c’était toujours moi. Il ne savait pas quoi me répondre ».

Sa première année reste des plus délicates même sur le terrain. Barré par Nasri et Ribéry sur le terrain, il dispute seulement 18 rencontres pour un petit but seulement. Son temps viendra, il le sait. Et dès l’année suivante, tout va rapidement basculer. Après un début de saison piteux, Emon est limogé et Erik Gerets le remplace. Pour son premier match sur le banc, l’entraineur belge titularise Valbuena en C1 contre Liverpool, match déclic pour ce dernier qui réalisera un match somptueux avec un but magnifique à la clé. Le début d’une relation spéciale entre les deux hommes. Le principal intéressé confie : « c’était particulier avec Gerets. Il est arrivé et il m’a dit ‘t’es mon numéro 10 lâche toi’. On disait que j’étais son chouchou, c’est pas faux ». Sous Gerets, les performances du « petit » sont remarquables. Près de 90 matches et un statut qui ne cesse de croître. Petit vélo commence à avoir sa place dans le coeur des supporters marseillais, et il leur rend bien.

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Gerets, comme un père pour Valbuena

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A l’été 2010, Deschamps remplace l’entraîneur belge sur le banc olympien. Valbuena ne fait pas partie des plans de « la Dèche » et joue très peu lors des 6 premiers mois. « C’est dur quand un coach te dit : ‘Tu n’entres pas dans mes plans’. La discussion forte qu’on a eue, pendant la trêve en janvier 2010, a été un moment clé. J’aurais pu quitter l’OM, mais j’ai voulu montrer que je pouvais renverser la situation ». Résultat, Mathieu se remet à jouer, et Marseille surfe sur une vague qui ne cesse de se prolonger. Il s’impose comme un titulaire indiscutable sur le flanc droit de l’attaque et devient un artisan du doublé Championnat-Coupe des marseillais. Des performances exceptionnelles qui lui permettent d’arracher une place dans les 23 de Domenech pour la Coupe du Monde en Afrique du Sud. Pour sa première sélection chez les bleus, il entre en match de préparation, en mai 2010 contre le Costa Rica. Une entrée décisive puisqu’il offre aux siens la victoire : « les premières sont toujours inoubliables. En pénétrant sur le terrain, j’ai ressenti beaucoup d’émotions et Evra m’avait dit que je marquerais si je rentrais ».  Malgré le désastre du mondial Sud-africain, Valbuena confie être revenu grandi et très fier d’avoir porté le maillot bleu. « Il faut retenir le positif de cet événement négatif. Tu grandis, tu gagnes en expérience. J’ai appris ».

Fort d’une saison admirable et de ses premières minutes en sélection nationale, petit vélo commence à susciter les intérêts de grosses cylindrées européenne. A l’époque, on parle de Barcelone, Manchester United et Manchester City qui auraient l’ancien de Libourne sur leurs tablettes. Il opte pour le contre-pied et prolonge avec le club phocéen. Un choix aujourd’hui reproché, comme le confiait un agent à la presse : « Valbuena est resté trop longtemps à Marseille pour espérer un transfert dans un grand club européen. Sa carrière n’a pas bien été gérée. Il aurait dû partir après le titre de champion de France en 2010 ».

Pourtant, avec l’Euro 2012 en ligne de mire, il doit de nouveau batailler et cravacher pour gagner sa place dans le 11 marseillais, Deschamps lui préférant Loic Rémy en début de saison. La saison ratée de son club en championnat et une triste 10ème place n’empêche néanmoins pas Valbuena de briller à chacune de ses sorties. Second meilleur passeur avec 13 offrandes, il se signale aussi en scorant à 9 reprises, dont un but (encore) décisif en LDC face à Dortmund, synonyme d’une qualification en 8èmes. Il décroche sans contestation sa place pour le championnat d’Europe mais son excellente saison ne lui permet pas de montrer quoi que ce soit sur un plan personnel. Avec Blaise Matuidi, il est même le seul joueur de champ à n’avoir disputé aucune minute lors de la compétition. Interrogé par les journalistes en zone mixte après l’élimination des bleus, le meneur de jeu de l’OM a préféré se taire. « Je préfère ne pas m’arrêter plutôt que de dire des conneries ». Face à la pression, aux reproches de la presse, du public, de son entraîneur, Valbuena a toujours eu un comportement exemplaire, et l’échec de l’Euro n’a pas été loin de le faire craquer.

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Super-Valbuena

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Car pourtant ce ne sont pas les occasions qui ont manqué. Toujours sous le feu des critiques, Valbuena est le genre de joueurs qui cristallise les railleries et les moqueries, seulement parce qu’il a la tête à le faire. Moqué et parodié sur internet, conspué dans les stades où il passait, ses performances ne lui permettent pas encore d’obtenir le respect à une échelle nationale, loin de ‘son’ Vélodrome. « Je sais que ma façon de marcher est particulier, ma façon de parler aussi. Mon physique atypique, ma taille, je me doute de ce qui peut déplaire aux gens. A l’époque, je me renfermais sur moi-même alors que j’aurais dû aller vers les autres, notamment à mes débuts à l’OM. Mais c’est pas grave je sais que certains m’adorent et d’autres me détestent. Après, on peut pas éternellement se laisser faire non plus. ». Son Hummer, ses caleçons si colorés (dont il est le créateur), le côté mi-chic mi-bligbling qu’il laisse paraître n’a jamais laissé indifférent. Il le sait : « je sais qu’un Hummer c’est grand et que moi, je suis petit. Je comprends que ça puisse faire rire. Mais moi je m’en fous. Je ne vais pas changer pour faire plaisir aux gens. Le principal c’est le terrain. »

Sur le terrain – aussi – Valbuena irrite et agace. Qualifié de simulateur et même d’arrogant, il s’est aussi mis à exaspérer ses adversaires. Il pense même que les causes de ses problèmes à son arrivée en Provence sont là : « sur le terrain; à l’entrainement, j’avais un jeu qui m’exposait. J’arrivais de nulle part, je jouais à fond. Je dribblais. Ca agaçait les gars ». Il poursuit, « déjà à Bordeaux on me reprochait d’en rajouter, de faire le crochet de trop, le dribble inutile. Pour m’adapter, j’ai été obligé de simplifier mon jeu. C’était un mal pour un bien ».

Aujourd’hui, la situation s’est nettement améliorée. Et il doit en partie son salut à ses sorties en Équipe de France. Une fois le raté de l’Euro passé, Deschamps, son ancien coach à l’OM prend les rênes de la sélection. Dès lors; le statut de Valbuena chez les bleus va connaître un changement radical à partir de sa deuxième période contre l’Espagne, le 16 octobre 2012 (1-1) : «le coach m’avait demandé d’opérer en numéro 10, entre les lignes. Sur mes premiers ballons, je me suis senti bien, mes partenaires me sollicitaient beaucoup, ils avaient confiance en moi. Je le sentais. J’ai pu prouver que j’avais le niveau face à la meilleure équipe du monde, ce n’est pas anodin. C’était un moment déclencheur pour moi.»

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Une étoile bleue

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Toujours aussi satisfaisant sous le maillot olympien où Baup construit son système autour de lui, il joue presque plus de 100 matches en deux saisons et n’a jamais autant marqué (près de 15 buts). Petit Vélo est alors propulsé sous le feu des projecteurs et va devenir un maillon essentiel du système Deschamps en sélection. Exploit personnel contre l’Italie, premier but de la tête de sa carrière contre l’Allemagne, il s’avère surtout être particulièrement précieux au milieu d’une équipe à l’agonie. Seul joueur à disputer tous les matches internationaux lors de l’année civile 2013, il est longtemps le plus grand joueur de cette équipe. Paradoxal pour un joueur petit, non ?

Mis sur le banc au match aller des barrages contre l’Ukraine (0-2); il retrouve sa place au retour sur la pelouse du Stade de France et devient un des principaux artisans du renouveau des bleus (3-0). Il confie après le match : « C’est de loin le match le plus important de ma carrière. C’était un match particulier et puis, il y a eu le scénario. On était en bas de l’échelle. Il a fallu se transcender tous ensemble. J’ai senti un engouement autour de cet évènement ».

Qualifié pour la Coupe du Monde 2014, Valbuena semble à l’apogée de sa carriere et de son talent et va confirmer cette impression lors du mondial brésilien. Après avoir fait partie des 23 en 2010 et 2012, pour ne jouer au final que 21 minutes, Mathieu Valbuena a été l’un des hommes de base de Didier Deschamps. Irréprochable dans l’envie et la combativité, il va s’affirmer comme le réel dynamiteur de cette équipe de France. Si son bilan comptable n’est pas vertigineux (1 but et 1 passe), la présence et l’importance qu’il a eu au sein du collectif bleu n’est pas passé inaperçu. Chris Waddle, ancienne gloire de l’OM déclarait même à la fin de la compétition : « c’est facile de dire Neymar ou Messi. Mais, pour moi, Valbuena est absolument au-dessus. C’est l’un des meilleurs joueurs du tournoi jusqu’à présent. C’est lui qui fait que la France joue juste ».

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Les choses ont bien changé. Mais ballon toujours en mains

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Et maintenant ? Et bien le futur de Valbuena semble se trouver en Russie, du côté du Dynamo Moscou. Après 8 saisons hautes en couleurs du côté de l’OM, il part pour un nouveau challenge (le dernier?) où l’apport financier aura sans doute fait pencher la balance, faute de pouvoir compter sur d’offres sportives plus alléchantes. Son physique lui aura peut-être une fois fait défaut, malgré un mondial réussi, comme le confiait un agent il y’a quelques jours : « Honnêtement, je pense que pour les clubs étrangers, la taille de Valbuena est rédhibitoire. J’ai du mal à imaginer un club anglais se dire, on va confier les clés du jeu à un mec d’1m67 ». Reste qu’il rejoint un effectif engagé en Europa League, après avoir été rassuré par Deschamps sur les éventuelles incidences que pourraient entraîner un départ si loin.

D’un point de vue personnel, même si je doute qu’il s’épanouisse pleinement dans le championnat russe, je reste persuadé que Valbuena ne trichera pas et restera fidèle à ses valeurs. Des valeurs qu’il aime répéter, basées sur l’humilité, le respect et surtout… le travail. A regarder dans le rétroviseur, on se dit qu’il n’est peut-être plus à 3000km près, finalement, vu le chemin accompli jusqu’ici, et qu’un départ à Moscou ne serait que le point final d’une grande traversée. En réussissant à s’imposer dans ce milieu si difficile, Valbuena a d’ores et déjà accompli le défi de sa vie. Et il faudra faire attention à ne pas l’enterrer trop vite : à bientôt 30 ans, il pourrait encore bien nous réserver quelques (très) bonnes surprises.

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Mathieu Valbuena en 7 dates

Mai 2002 : Valbuena est recalé par les Girondins de Bordeaux

2003-2006 : Il joue en CFA2, puis national, tout en travaillant chez Intersport

1er Juillet 2006 : Il signe à l’OM

3 octobre 2007 : Il marque « son plus beau but » à Anfield, contre Liverpool

26 mai 2010 : Premier but en Équipe de France contre le Costa Rica

Juin 2014 : Joueur majeur de Deschamps, il joue 4 matches et inscrit 1 but à la Coupe du Monde au Brésil

1 août 2014 : Il quitte Marseille après 8 saisons et part en Russie, au Dynamo Moscou

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Tom Masson

@MassonTom1

 

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Crédits Interview :

– So FOOT (mai 2013)

-L’Equipe Mag (février 2013)

-Le Parisien (Octobre 2013)

-OM.NET

Merci à Supporters de L’OM et à En Avant les Marseillais

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