KO debout. Pire qu’une gueule de bois, la sensation qui habitait chacun de nous ce matin, au réveil, est à nous rappeler les pires déconvenues de notre histoire. Car la cruelle – mais réelle – défaite concédée hier soir, à domicile, en finale face au Portugal, en fait assurément partie. Pourtant, si on essaie d’aller un peu plus loin que l’immense tristesse qui nous anime, on va se rendre compte peu à peu que la France avait joué au maximum de ses capacités.
Depuis le 10 juin, début de la compétition, tout paraissait réuni pour que les français aillent au bout. Vincent Duluc, dans l’Equipe, évoquait même un « alignement des planètes » parfois déconcertant. Un tirage au sort clément (rappelons, si tant est que cela soit nécessaire, que la France a affronté la Roumanie, l’Albanie et la Suisse en phase de poule), un tableau ouvert (Irlande en 1/8ème – avec trois jours de plus de récupération-, et l’Islande en 1/4) et un nombre d’aléas en faveur de la sélection bleue incalculable. L’Allemagne, très affaiblie avant sa demi-finale en a d’ailleurs fait les frais. Cristiano Ronaldo, après une vingtaine de minutes, hier, aussi. Mais l’équipe de France s’est malgré tout inclinée en finale. Et ne remontera pas, 16 ans après 2000, 32 ans après 1984, sur le toit de l’Europe.
Une absence de projet de jeu problématique
Tout au long de la compétition, et même avant durant les matchs de préparation, le fond de jeu de l’équipe de France a toujours été plus ou moins bancal, à la limite de l’inquiétant. Donnant tantôt l’impression de ne pas avoir étudié assez (voire pas du tout) l’adversaire, tantôt de pêcher dans la faiblesse de ses transitions et dans le manque de liant entre les lignes, la sélection française n’aura pas mis en place un seul et unique plan de jeu (comme l’Italie, l’Espagne voire même le Pays de Galles) et n’a cessé de mettre en lumière ses failles tactiques béantes.
En plus de ça (ou à cause, c’est selon), Deschamps a mis du temps à trouver ses 11 joueurs d’abord, puis son dispositif, ensuite. Oscillant entre un 4-3-3 fébrile au début de la compétition, et un 4-2-3-1 surfant sur la vague du match face à l’Islande, les bleus n’ont jamais su vraiment sur quel pied danser. D’autant plus qu’à partir du quart, Kanté, pourtant l’une des seules satisfactions du début d’Euro, a été sorti du 11 de départ (très injustement selon mon modeste avis), au profit de Sissoko dans un tout autre système. Sauf que les bleus ont souvent souffert de l’absence d’un 6, d’une vraie sentinelle devant la défense, et l’homme aux 100% de victoires en bleu aurait peut-être dû être reconduit davantage.
Pour autant, ces carences tactiques ont presque de façon continue été camouflées par un réalisme défiant toute rationalité et une générosité dans les efforts. Mais les français n’ont pas toujours pu bénéficier du miracle de scorer à la 90ème, et le manque d’identité global et généralisé, rajouté à un réel manque de repère de la quasi totalité des joueurs sur le terrain, ont empêché la France de briguer un trophée si attendu.
Le Portugal mérite, de fait, sa victoire
Les déçus sont nombreux, les sceptiques aussi. Le Portugal, qui n’a gagné qu’un seul de ses 7 matchs dans le temps réglementaire, aurait « volé » sa victoire. Il est vrai qu’un champion qui finit troisième de son groupe, le scénario peut paraître étrange et l’histoire pas banale. Mais s’ils sont, aujourd’hui sur le toit de l’Europe, c’est qu’ils ont réussi là où les bleus ont failli. J’avais parlé du jeu portugais ici. Certes le jeu proposé par la Seleçao a été très loin d’être excitant, mais force est de constater qu’ils avaient les clés, hier, exactement les mêmes qui avaient servi à déverrouiller les verrous croates, polonais et gallois et c’est tout à leur honneur. Pour le coup, le plan de jeu du formidable sélectionneur portugais, Fernando Santos, est resté le même et lui a permis de propulser sa sélection sur le toit de l’Europe.
Rien que sur la finale, la performance portugaise est grande, immense même, puisque privés de Ronaldo pendant plus de 100 minutes. Comme ce fut le cas lors des tours précédents, les portugais ont fait déjouer leur adversaire, et parvenir à réduire au silence l’attaque la plus prolifique de la compétition n’est pas rien, réussir à exploiter l’unique brèche offerte par la défense française est beaucoup. Le Portugal a décroché le premier titre de son histoire, et le mérite est grand. Si une tête de Griezmann ou une frappe malheureuse de Gignac sur le poteau aurait pu faire basculer une finale, techniquement et tactiquement très pauvre, en notre faveur, les portugais étaient au-dessus physiquement mais, plus encore, au-dessus mentalement. La déception qui nous habite tous ne doit pas banaliser ce que représente l’accomplissement de tout un collectif dans une compétition et doit, surtout, nous éloigner du danger représentées par les brèves de comptoir, qui accusent – à tort – l’arbitrage ou un vol manifeste d’une équipe qui a réussi son numéro à merveille.
Pour autant, l’avenir leur appartient
Il n’y a pas à dire, et c’est probablement la plus magnifique des victoires achevée par les bleus, ces 23 individualités se sont transformées en véritable équipe. Métamorphosant leur histoire en celle d’un groupe uni et solidaire, porté par des supporters conquis, une première depuis plus de 10 ans. Si les français sont tristes, ce matin, les français ne sont pas pour autant peu fier du parcours accompli par Deschamps et ses hommes. Finalistes d’un Euro en France, ils auront réussi à mobiliser près de 85% des français derrière eux, et ils les auront fait rêver. J’en parlais hier, mais la ferveur enchantée qui a précédé cette finale toute la journée faisait plaisir à voir. Les bleus auront, au moins, à défaut de graver leurs noms sur le trophée Henri Delaunay, remporté le combat des coeurs, le combat des sentiments. Et c’est déjà immense.
Cette équipe a un potentiel réel et l’avenir lui appartient. Il faudra se servir de cet échec pour rebondir plus fort, plus loin, jusqu’en Russie, en 2018. Et surtout tirer les pleines conclusions de cet Euro pour corriger ce qui n’a pas été, sublimer ce qui l’a été. Loin de moi l’envie de relancer le débat sur les compétences de Deschamps, mais a-t’il été au niveau? Pas certain. J’ai toujours exprimé mes limites envers le sélectionneur de l’équipe de France mais est-il capable de mettre en place un réel plan de jeu, de travailler tactiquement avec cette équipe ? Les sentiments et la générosité ne suffiront jamais pour gagner un trophée majeur. Pour autant, j’ai envie de croire que la génération Griezmann, née tout au long de ce mois de juin, n’a pas fini son histoire. Et on a déjà hâte de reprendre rendez-vous avec eux.
Tom MASSON
@MassonTom1